Avance rapide : en 1992, je suis maman de cinq filles.
En 2007, à 46 ans, je deviens grand-maman. Quel merveilleux bonus de vie! On a beau mettre des enfants au monde, rien ne garantit que ces derniers deviendront aussi parents. Je flottais de bonheur. Je pouvais être présente auprès de la jeune famille, à ma façon : sessions de gardiennage, bricolage, popote, jardinage, etc.
Cette même année, ma santé commençait à donner des signes de problème, mais rien de concret encore. En 2011, c'est le diagnostic d'encéphalomyélite myalgique.
En 2022, j’ai 61 ans, je vis avec l’encéphalomyélite myalgique, j’espère être moins folle (rires), et je vis maintenant seule.
Au fur et à mesure de l’arrivée de mes dix petits-enfants -entre 2007 à 2019-, il est clair que j’ai perdu en capacités, en forces et en résistance. La maladie a évoluée.
Être présente physiquement auprès de mes filles et petits-enfants est devenue de plus en plus difficile, c'est une évidence. L’épuisement est rapide, l’intolérance aux bruits et aux odeurs est élevée. Le seul déplacement me demande une énergie folle, et les visites à l'extérieur de chez moi sont devenues, lentement, de plus en plus rares.
Je rends rarement visite, c’est plutôt l’inverse : ce sont mes filles, maintenant, qui viennent à moi. Les contacts sont maintenus par téléphone, visites planifiées (une seule personne, c’est parfait) et dieu merci, la technologie offre une multitude d’applications pour s’écrire ou se parler en vidéo. En limitant le temps d'utilisation, comme de raison.
Récemment, j’avais un appel vidéo avec ma petite fille de 8 ans. Je lui ai expliqué pourquoi je suis malade. Utilisant l’analogie avec une batterie défectueuse d’une tablette ou d’un cellulaire, par exemple, elle a compris que la batterie de mon corps est défectueuse. La recharge n’est pas normale. Elle a dit : « au moins, tu es en vie », avec un tout petit sourire... Wow, quelle magnifique réponse comme seule peut le faire une enfant.
Fêter mes filles, encore....?
J’aime souligner les anniversaires des miens, mais quand on vit avec l’EM, comment faire?
Ce constat m’a amené à instaurer une nouvelle tradition familiale, à la hauteur de ce que je suis encore capable de faire. Du moins, pour le moment.
À chaque anniversaire, mes filles sont conviées à venir déjeuner chez moi selon nos convenances respectives. Un petit déjeuner intime mère-fille, que demander de mieux? Et l’option de reporter est toujours valide si je ne me sens pas bien. Après tout, on n’en est pas à un jour près pour fêter.
La tradition a déjà commencé cette semaine avec mon aînée qui souligne ses 40 ans.
Ce que j’aime dans ce concept, c’est que je peux voir venir d’avance et planifier selon mon état. Je respecte au mieux mon énergie, meilleure le matin.
Par étapes, pour ne pas m’épuiser, j’ai emballé de petits présents. Le jour venu, j’ai préparé une omelette, simple et nutritif avec un bon décaféiné. Puis ce fut le moment de savourer le moment présent, en bonne compagnie.
J’ai tellement aimé ce premier rendez-vous! Cette première officielle est un succès pour moi, et pour ma fille aussi : on a adoré vivre ces moments précieux. C'est comme si on a le pouvoir d’arrêter le temps, ne serait-ce le temps d’un déjeuner, pour discuter, savourer le moment et célébrer. Et c'est tellement plaisant de discuter avec ses enfants adultes. J'adore les écouter parler de leur vie, de leurs projets et de l'avenir.
L’annonce de cette tradition a été bien accueillie par mes filles. Le prochain rendez-vous est prévu fin décembre alors que ma troisième fille soulignera ses 32 ans.
C’est maintenant que ma propre maternité prend un tout autre sens alors que je peux savourer à plein la vie de mes filles adultes malgré et avec l’encéphalomyélite myalgique en toile de fond. Malgré l'épuisement et tout le topo de la maladie, c'est important pour moi de suivre ma famille et de pouvoir le faire à mon propre rythme et selon mes capacités.
C’est aussi maintenant que je peux savourer à plein tous les efforts fournis il y a des années. J'ai eu la chance de pouvoir avoir une famille avant d'être malade, et je mesure cette chance à sa pleine valeur.
J'arrive encore à célébrer en respectant mes limites. Bien sûr, il y a des deuils à faire dans tout cela. Bien sûr, j’aimerais célébrer au restaurant, fêter chez mes filles, mais je ne peux plus faire cela.
Avec ma condition, je peux encore m’adapter pour continuer à vivre ma maternité, et voir grandir cette belle marmaille. Sans vouloir être défaitiste, je me dis que c'est le temps d'en profiter. Qui sait ce que me réserve l'avenir?
À 61 ans, même si je suis malade, c’est tout de même très satisfaisant pour moi de voir mes filles et petits-enfants tracer leur chemin. J’admire tout ce que j’ai pu réussir à accomplir depuis toutes ces années, avant l’arrivée de la maladie. Leur présence me manque, je ne peux le nier. L'encéphalomyélite myalgique prend toute mon énergie physique et émotive.
Il y a de quoi être fière, même dans l'épuisement profond sans fin et sans fond du fait de vivre avec cette maladie.
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