Il fait noir ou plutôt j’ai les yeux fermés, j’ai du mal à supporter la lumière ; je suis trop fatiguée pour soulever les paupières. Je crois qu’on est en début d’après-midi, mais je ne sais plus vraiment si mes auxiliaires sont déjà venues, et si elles m’ont déjà donné ou non mon petit déjeuner. Je ne sais plus trop ; mais si, il me semble qu’elles m’ont déjà fait ma toilette au lit. Je ne sais plus. Je me rendors à moitié.
Je suis trop fatiguée, je pense à une seule chose : limiter tous mes mouvements. Mon corps est à la fois endolori et mes cuisses me font mal. J’ai soif, j’ai ma bouteille d’eau tout contre moi, mais je m’interdis de boire. Ma grande question est: comment vais-je arriver à aller sur ma chaise percée contre mon lit ? J’ai besoin d’aller aux toilettes. Réfléchir est trop fatigant. J’attends, je peux toujours attendre, on verra plus tard. Je me rendors.
Il faut que je boive, j’ai vraiment trop soif. C’est difficile de bouger les bras, d’attraper ma bouteille pourtant contre moi, d’ouvrir le bouchon, de la soulever un peu, elle pèse des tonnes. Heureusement, je sais maintenant boire allongée sans bouger, quelle que soit ma position. Je referme ma bouteille, me recroqueville. Il faut maintenant que je récupère. Je me rendors.
J’aimerais écouter un podcast pour m’évader un petit peu, autrement que dans mes rêveries. Mon téléphone est contre moi, avec tous mes podcasts. J’en choisis un au hasard, tous m’intéressent. Cela fait maintenant 30 secondes que l’émission a commencé, mais je n’ai rien suivi. Je suis trop fatiguée. J’éteins mon téléphone et me rendors.
J’ai besoin d’aller aux toilettes, je ne vais plus pouvoir me retenir longtemps. Je ne sais pas comment font les malades qui ne peuvent plus du tout bouger. Il faut que je me retourne dans mon lit pour pouvoir ensuite me relever. Mon corps est si lourd à déplacer juste de quelques centimètres. J’utilise la télécommande de mon lit médicalisé. Il relève mon buste. Grâce au kiné, je sais comment basculer mes jambes et me hisser en utilisant le moins d’énergie possible. Ces mouvements me sont précieux. Je suis maintenant assise contre sur mon lit. Ma chaise percée est quasiment contre moi. Il va falloir que je me soulève un peu en tournant pour me transférer dessus. Je dois auparavant récupérer un peu, mais en même temps je ne peux pas rester longtemps assise, c’est trop dur. Je prends mon élan et retombe un peu brutalement sur ma chaise percée. Il faut encore que j’arrive à enlever ma culotte. Encore un effort et j’y suis presque. Ça y est, je peux enfin uriner. Je remonte ma culotte en restant assise, j’y arrive avec cette chaise percée. Je reprends mon élan pour repasser assise sur mon lit, mais m’écroule directement allongée. Il faut encore que je me tracte pour me réinstaller bien, la tête contre mon oreiller, c’est là où je suis le mieux. Je me rendors.
Je ne sais plus quelle heure il est, j’ai oublié de regarder sur mon téléphone. Tant pis je le reprendrai plus tard, tout peut attendre de toute façon. Je suis trop fatiguée. Mes membres sont lourds, tout m’écrase, je suis écrasée par l’apesanteur et l’épuisement. Je me rendors.
J’aimerais pouvoir me mouvoir, mais tout mon corps me fait trop mal. Il a comme été broyé. Je cherche une position la moins douloureuse et inconfortable, me recale. Ma torpeur est salutaire. Je retourne dans mes rêveries sans fin.
Je rêve de montagnes, de fleurs, de papillons. Je rêve de torrents, de sentiers. Je rêve de marcher, de courir, de voler. J’y retournerai, mais plus tard. Pour l’instant, je voyage dans ma tête.
Ce qui me semblait encore un peu possible avant l’été, c’était aller parfois dans mon jardin m’allonger sur ma chaise longue. J’ai réussi seulement 3 fois en deux mois. Trois fois un petit quart d’heure début juillet. Trois fois en un an et demi. Mais ces dernières semaines, tout est devenu trop dur, je n’arrive plus à me mouvoir. Je reste dans mon lit, j’y suis bien, c’est là que je vis, c’est mon nid douillet.
Je laisse le temps glisser sur moi, je ne me soucie plus du quotidien pour vider ma chaise percée, pour me donner à manger. Je suis confiante, mes auxiliaires viendront le moment venu. Je me rendors.
Le temps glisse. Demain ou après-demain sera un jour meilleur. Et je profiterai de l’été sur ma chaise longue l’année prochaine, ou l’année d’après. Puis de mes montagnes tant aimées. Ce n’est pas grave, l’important c’est d’abord de me reposer et de me réécrouler pour dormir. Pour me restaurer. Pour survivre.
Ce qui reste essentiel alors pour les PAEM en état très sévère, à mon avis :