Vivre une nuit à l’urgence quand on vit avec l'encéphalomyélite myalgique (EM), équivaut-il à envoyer une personne de 80 ans danser dans un rave toute une nuit? Ou grimper une énorme montagne pendant des heures sans aucun entrainement physique préalable?
Je ne sais pas. Bien malgré moi, je cherche des exemples plus ou moins farfelus pour faire comprendre autour de moi comment ce type d’évènement est très rude physiquement et mentalement pour les personnes affectées par l'EM (PAEM).
Vivre une nuit dans une urgence est une expérience assez difficile à vivre pour le citoyen ordinaire. On le sait, l’urgence d’un hôpital n’est pas un lieu de tout repos, tant s’en faut. Le niveau de stimulus de toutes sortes est très élevé. Mais pour une personne affectée par l’EM, c’est une expérience qui relève du cauchemar et qui nous affecte très durement.
Et que dire des impacts, quelques jours plus tard?
***
18 :00 une fois dûment branchée à un super écran qui détaille tout, une infirmière vient me voir pour des prises de sang et le test covid.
Je mange une pomme que j’avais apporté au hasard. Je ne demande pas de repas, je suis déjà trop épuisée. Tout ce que je veux, c’est m’allonger et dormir, même si je me doute bien que ce sera un sacré défi.
Nous le savons tous, de simples rideaux de coton ne peuvent bloquer ni bruits ni lumières. Même avec mes bouchons performants, impossible de m’endormir. J’écoute tout, j’entends tout. Les conversations, les bruits des appareils, les chariots qui roulent etc. Je fixe le plafond de mon petit espace, rêvant de ma chambre et de mon lit. Je respire doucement, essayant de faire le vide... je sais bien que les prochaines heures seront difficiles à vivre.
21 :30 : Un cardiologue vient me voir. Je lui décris les sensations, lui montre mes valeurs cardiaques. Il m’ausculte…Est-ce un mauvais timing de ma part ou...? Dans tous les cas, je montre au cardiologue un document sur l’EM et lui dit: se pourrait-il qu’il y ait un lien avec cette maladie?
Il jette tout au plus un œil et dit: « Moi madame, je traite le cœur. C’est ça que je connais. Je ne connais pas cette maladie. Je vais donc me concentrer sur ce que je connais, le cœur . » Il me redonne le document et il quitte.
À ce point de la soirée, j’en viens même à douter de la pertinence d’être venue à l’urgence. N’étais-je pas mieux de remballer mes affaires et de rentrer chez moi? La réaction du cardiologue m'a dérangée, j'avoue. Je suis convaincue que mon état d’épuisement avancé et un sacré brouillard de cerveau me faisaient douter. Le bon sens l’a emporté : que l’encéphalomyélite myalgique soit connue ou pas des cardiologues de l’urgence, et que ce soit la cause ou non de mes malaises, il faut que mon cœur soit examiné de près.
So what? Si les nouvelles urgences des hôpitaux du Québec sont comme celles-ci, alors nous sommes devant une évolution vraiment positive. Le poste des infirmières est entouré de chambres non plus séparés de rideaux, mais bien des chambres avec de grandes portes vitrées coulissantes. Ces portes coupent les bruits de façon vraiment notable. Une fois dans cette chambre et avec de meilleures conditions, c’est là où j’aurais probablement pu m’endormir. D’ailleurs, j’ai pu réussir à m’assoupir quelques minutes avant de voir le cardiologue.
Finalement, le cardiologue a ajusté ma médication, effectués certains tests avant la sortie et prescrits d’autres tests plus poussés à faire dans les prochaines semaines.
12 :30 un dernier test signe ma sortie. J’appelle un ami qui vient me chercher. Je n’attends même pas qu’il soit arrivé : je m’installe dehors assise dans mon déambulateur. Je respire à pleins poumons l’air frais qui me manquait tant depuis hier. J'ai tellement hâte d'arriver chez moi.
Retour à la maison
Abasourdie et crevée, je prends une douche et saute directement dans mon lit. Le lendemain, ma fille aînée est venue me visiter pour une heure. J'étais encore sous le coup de l'adrénaline des dernières heures et j'ai pu discuter un peu avec elle. Ça m'a fait un bien fou de la voir et de la serrer dans mes bras.
Les deux premiers soirs, j’ai dormi "presque normalement", c’est-à-dire 8 heures d’un sommeil de mauvaise qualité, celui auquel je suis habituée depuis tant d'années!
C’est là où personne ne nous voit ramer, du moins pour ceux qui vivent seuls comme moi.
-appétit disparu
-concentration et attention difficile
-maux de tête
-jambes qui tremblent
-forte intolérance aux bruits, lumières
-forte sensation de faiblesse, comme si j’allais mourir. Je répète: comme si j'allais mourir.
-forte sensation de faiblesse, comme si j’allais mourir. Je répète: comme si j'allais mourir.
-les yeux grands ouverts, JE VEUX DORMIR. J'y arrive difficilement: je suis électrique, survoltée
-difficulté à parler
-Brouillard cognitif fort
-Intolérance plus élevée aux odeurs et parfums
Bien sûr, ce n’est pas la première fois que je vis un malaise post-effort de cette ampleur, aussi puissant. Mais c’est toujours une fois de trop, on s’entend.
Une difficulté nouvelle s’est ajoutée, celle de parler. J’avais encore ma voix, mais parler me demandait un tel effort, comme si je manquais d’air pour arriver à la faire sortir. Je crois plutôt que c’était dû au malaise post-effort élevé. Je ne suis pas médecin ni scientifique, mais je soupçonne que ce problème pourrait être relié au nerf vague.
En malaise post-effort, le corps est dans un état d’inflammation encore plus aiguë, et le nerf vague est certainement mis à très rude épreuve dans ces cas-là. Il essaie bien de remettre les choses en place dans ce corps malmené, mais le défi reste de taille.
Comme un ordinateur, j’ai « fermé des fenêtres ». Réduction de lumière, de bruits, de télé, de stimulations. Pour quelques jours, pas d’appel, peu de texto, de télé, question de donner une chance à mon corps de récupérer. Dans ma petite cour remplie de neige, je me suis assise sur un petit banc pour faire un peu de cohérence cardiaque, question de m’oxygéner en même temps. De l'air frais pour mon système immunitaire et ma santé mentale. J'ai aussi usé le circuit divan-lit, lit-divan à gogo, même si dormir relevait du défi. S'étaler, c'est déjà ça.
Avec le recul, je sais que cette nuit à l’urgence m’a coûté très cher. Trois jours avant, j’avais eu un rendez-vous médical dont je n’avais pas encore récupéré, un épuisement qui s’est ajouté à ce qui allait venir.
Je suis prise dans une sorte de malaise post-effort multicouches dans mon corps.
C’est maintenant devenu systématique pour moi, comme pour beaucoup de personnes affectées par l’EM : un rendez-vous médical égale un malaise post-effort à tout coup. S’il est vrai que c’est déjà difficile à vivre et à « aplatir » avec le pacing, il reste que des extra, comme cette nuit à l’urgence, viennent encore compliquer les choses pour les malades de l’EM. Ces extra coûtent chers et comportent aussi des risques : celui de rester « coincé » dans une phase aiguë, en bref, de rempirer la situation de santé déjà hypothéquée.
La santé peut-elle s’hypothéquer davantage avec ces malaises post-effort à répétition? La réponse est oui. (2)
Je ne suis pas en état sévère, mais le risque est pourtant bien réel de s'y retrouver si je ne fais pas attention à ma précieuse énergie. L'idée n'est pas de vivre dans la peur (quoi que...), mais plutôt d'en être conscient et d'appliquer le pacing (3) le plus possible. Je ne vois pas d'autres manières de conserver le peu d'énergie physique.
À elle seule, l’encéphalomyélite myalgique demande beaucoup d’énergie au quotidien, ne serait-ce que de composer avec les symptômes imprévisibles et une énergie sur laquelle on peut difficilement compter, car incertaine et instable. D’autres problématiques de santé s’ajoutent, alourdissant encore davantage la situation de santé. Je pense ici aux personnes affectées qui sont passées à travers un ou des cancers et bien d’autres maladies.
Je relève lentement et péniblement de cette nuit. Je recommence à peine à reprendre le cours normal de ma vie. C'est fragile pour tout vous dire.
Au moment de terminer ce billet, on vient de m'appeler pour me donner un rendez-vous à l'institut dans les prochains jours, un des tests à effectuer.
J’espère au moins ne pas revivre une telle nuit de si tôt. Les coûts physiques et émotifs sont éminemment élevés. Je n’ai pas le moyen de vivre de tels coûts sans conséquences importantes sur ma vie.
Je mise sur l'arrivée du printemps et de la douceur du temps pour me remettre encore mieux sur pied, si cela se peut.