« Un ami, c’est quelqu’un qui te connaît tel que tu es, qui comprend qui tu as été, qui accepte ce que tu es devenu, et encore, qui te permet de te développer.» William Shakespeare
J'aimerais vous parler d'une histoire d'amitié qui dure depuis bientôt 40 ans. C'est mon amitié avec Gisèle.
Gisèle et moi sommes toutes les deux nées à l'été 1961, presque un mois jour pour jour. Je la taquine souvent en lui disant qu'elle est mon aînée. Nous avions toutes les deux 21 ans. Rien ou presque, pouvait nous destiner à être des amies. Je dis cela car nous avons toutes deux des personnalités bien différentes. Présentée l'une à l'autre par une amie commune, rien ne pouvait prédire que ce serait le début d'une longue amitié.
Et pourtant...
Gisèle a à peu près tout vu de ma vie.
Elle a connu mes conjoints, vu naître toutes mes filles.
Elle m'a même accompagnée lors de mon dernier accouchement.
De nature généreuse et accueillante, Gisèle nous recevaient chez elle avec des repas gargantuesques dont on gardait longtemps le souvenir. Elle était et est toujours la "tante" de mes filles quoi qu'on en dise.
Même mes petits enfants la connaissent bien. Elle fait partie de l'ADN de la famille.
En 2011, le diagnostic d'encéphalomyélite myalgique est arrivée dans ma vie. Gisèle aurait pu s'éloigner ou même prendre ses jambes à son cou et fuir notre relation. Pourtant, il n'en est rien. Elle est restée. Depuis que je suis malade, elle est encore présente dans ma vie.
Elle a choisi de rester.
Je le dis, car lorsque qu'on vit avec l'encéphalomyélite myalgique, nous perdons parfois, sinon souvent des amis et des relations en cours de route.
Gisèle est une femme très observatrice. Quand nous sommes ensembles, elle sait avant moi-même que je suis crevée. Elle lit mon non verbal comme personne, et elle sait ce que parfois je ne sais même pas encore, dans mon corps. Qui dit mieux?
Elle connaît fort bien l'encéphalomyélite myalgique et la fibromyalgie.
À un point tel qu'on ne pourrait même pas soupçonner.
Gisèle travaille dans un organisme qui accueille des centaines d'immigrants par année. Dans la salle d'attente, elle voit une femme d'origine latino américaine qui pleure. Elle s'approche et demande à la dame de la suivre dans son bureau. Une fois assise, Gisèle demande à cette femme pourquoi elle pleure.
Gisèle la regarde de plus près et elle aperçoit ses yeux brillants de larmes. Mais elle y voit aussi autre chose: la maladie. Elle vient de reconnaître dans ce regard, et dans son visage, ce qu'elle voit aussi dans le mien depuis plus un peu plus de dix ans. Elle y a vu les douleurs, le manque de sommeil etc.
La dame explique alors qu'elle est malade, et que sa famille ne la croit tout simplement pas. Et Gisèle de lui demander si, par hasard, elle n'aurait pas la fibromyalgie et/ ou l'encéphalomyélite myalgique.
La dame a tout de suite relevé la tête en disant: "mais, comment vous savez ça?".
Gisèle avait vu juste. Effectivement, la dame souffrait de ces deux maladies invalidantes. Mon amie a tenté de la réconforter comme elle le pouvait.
Cette histoire m'a émue pour plusieurs raisons. La première est que cette dame était probablement en détresse du fait que les membres de sa famille ne la croyait pas malade. Comment ne pas être mal à l'aise si et quand nos proches ne nous croient pas malades alors qu'on est là sous leurs yeux, à souffrir? C'est difficile à vivre...Pourtant, je sais que cette dame n'est pas la seule à se buter à ce genre d'obstacles. Qui ne fait pas face à ce genre de difficultés, même parfois avec son propre médecin?
Le fait qu'elle ait rencontré Gisèle -qui avait perçu ses souffrances- a dû lui procurer, du moins je l'espère, ne serait-ce qu'un peu de réconfort et de soulagement.
La deuxième raison, c'est que mon amie Gisèle ait été en mesure de reconnaître les signes visibles de ces maladies...et d'en parler ouvertement avec elle, même si elle n'est pas malade elle-même.
Il est vrai qu'elle n'est pas médecin, mais il reste que son grand sens de l'observation avec mon propre cas, lui a permis de soutenir cette dame. Sa délicatesse et son grand sens du respect de l'autre ont fait le boulot.
À mon sens, ce n'est pas rien...Comment ne pas se rendre compte de la grande chance d'avoir une amie comme Gisèle, qui même à son travail, a été en mesure de percevoir la tristesse et le désespoir de cette dame incomprise?
Je mesure ma chance aujourd'hui d'avoir une amie comme Gisèle à mes côtés. Depuis tout ce temps.
Et ce que j'aime particulièrement dans notre relation amicale, c'est que nous sommes libres.
Nous nous appuyons l'une sur l'autre si et quand besoin est. Parfois, c'est Gisèle qui a besoin de parler, de se confier. Je peux l'écouter sans juger. Et si même je n'ai plus l'énergie de nos vingt ans avec la maladie, elle est toujours mon amie.
On se parle de tout et de rien.
On se parle de sujets plus importants.
Tout y passe....
On refait le monde chaque matin avec nos cafés respectifs.
On se rappelle notre jeunesse, notre ancienne fougue, nos sorties folles.
On se rappelle aussi quand j'allais mieux, et que ma vie était différente.
Je sautais alors dans un autobus pour lui rendre visite, tout simplement.
Maintenant, je vis un autre vie.
Une vie plus lente, plus calme.
Elle le comprend.
Elle l'accepte aussi, parfois mieux que moi-même.
Elle m'aide, me soutient, me conseille même souvent.
Je l'ai dit déjà, elle a tout vu de ma vie.
Même maintenant alors que l'encéphalomyélite myalgique gagne du terrain, lentement.
Elle est encore et toujours là, Gisèle.
Je ressens une immense gratitude d'avoir encore cette amie dans ma vie.
Sachant que faire face à l'encéphalomyélite myalgique est déjà tout un défi pour nous les malades, je me sens privilégiée d'avoir la chance de vivre cette grande amitié.
Merci à toi mon amie de faire partie de ma vie depuis 40 années 💜
🌻
P.S. Un billet de 2016 où je parle de mon amie Gisèle: https://vivreavecem.blogspot.com/2016/03/une-histoire-vraie.html